Divination au moyen de l'interprétation des songes, dont l'usage remonte à une antiquité très reculée.
L’Ecriture sainte en parle en divers endroits : tout le monde connaît le songe de Pharaon et l'explication donnée par Joseph, ainsi que l'interprétation par Daniel des songes de Nabuchodonosor. Les Grecs et les Romains pratiquèrent régulièrement l’oneiromancie, et il existait vraisemblablement chez eux des traités sur cette science, qui ont servi à Arthémidor d’Ephèse au II° siècle pour composer son grand ouvrage, Oneirocritica, on connaît même un petit recueil de Valère Maxime, contemporain de Tibère, écrit sur le mème sujet, dans lequel se trouve racontée en détail la fameuse histoire des deux Arcadiens, déjà mentionnée par Cicéron.
Deux Arcadiens étant arrivés ensemble à Mégase, l’un alla coucher dans une hôtellerie, l’autre qui avait un ami dans la ville, alla lui demander l'hospitalité. A peine endormi, ce dernier eut un songe horrible; il vit son compagnon de voyage qui lui demandait aide et assistance contre l’aubergiste qui le menaçait. Éveillé en sursaut par ce rêve, et obéissant à son premier mouvement, il se lève, s’habille rapidement et court du côté de l’hôtellerie. En route, il réfléchit, considère ce que la démarche qu’il va faire au beau milieu de la nuit peut avoir de ridicule, se gourmande lui-même de sa facilité à aller réveiller les gens sur la foi d’un songe, et, tout pesé, se décide à revenir sur ses pas et à se recoucher.
Aussitôt qu’il est rendormi, il revoit son ami blessé, ensanglanté, mourant, et il l'entend lui crier : "Coupable ami, puisque tu as négligé de me porter secours de mon vivant, ne refuse pas du moins de venger ma mort. J ’ai péri sous les coups du misérable aubergiste, et, pour cacher son forfait, il a enfoui mon corps, coupé en morceaux, au fond d’un tombereau de fumier qu’il va jeter à la porte de la ville."
Frappé de ce deuxième songe, plus terrible encore que le premier, l’Arcadien saute à bas de son lit, se précipite vers la porte de la ville, où il trouve la vérification de sa vision en découvrant les restes de son ami au milieu du fumier versé par le tombereau. Il s’empresse de livrer l’assassin à la justice.
Combien ne voyons-nous pas de songes dans Homère qui témoignent de la croyance des anciens ! Mais Homère est un poète, et l’interprétation des songes favorise la poésie. On peut être fondé à qualifier de fables ses admirables récits.
Hippocrate, lui, est le maître de la science, et il écrit un traité sur les songes dans lequel il donne presque à entendre qu’il ne reconnaîtrait pas pour un médecin achevé celui qui ne saurait point interpréter un songe.
Combien d’hommes célèbres ont cru aux songes ! César tout le premier, Mithridate, Domitien, Marc-Aurèle, etc...
La croyance aux songes fut un article de foi religieuse chez les Romains, témoin ce distique de Properce :
Nec tu sperne piis venientia somnia portis.
Quum pia venerunt somnia, pondus habent.
"Ne dédaignez pas les songes qui vous arrivent par les portes pieuses : lorsque vous viennent les songes pieux, ils ont leur poids."
Qu’ils sont nombreux les exemples de songes prophétiques, et combien de tragédies, d’anecdotes comiques, de vaudevilles et de sujets d’opérettes ne fourniraient-ils pas?
Écoutez ce que raconte Aristote.
Vers le milieu du IV° siècle avant Jésus-Christ, il y avait à Phères en Thessalie un tyran nommé Alexandre, qui s’exerçait l'imagination à reculer les limites de la cruauté humaine et à inventer des supplices nouveaux à l'usage de ceux de ses sujets qui lui déplaisaient : Un jour il les faisait enterrer vivants, un autre jour il en faisait travestir en ours ou en sangliers, lançait à leur poursuite des chiens de chasse féroces qui les déchiraient à belles dents, pendant que lui-mème les perçait à coups de flèches. Un ami d’Aristote, Eudemus, de Chypre, étant tombé gravement malade et ayant été obligé de s’arrêter à Phéres, vit apparaître en songe, une nuit, un jeune homme d’une beauté merveilleuse qui lui prédit sa guérison; il lui annonça, comme garantie de la véracité de sa prophétie, que le tyran Alexandre n’avait plus que peu de jours à vivre. En effet, le surlendemain de ce rêve, Eudemus fut éveillé par les cris de joie de la population qui célébrait avec ivresse la mort du tyran. C’était sa femme Thébé qui, pour se venger de ce qu’il avait tué un jeune Thessalien qu’elle aimait, s’était entendu avec les trois frères de celui-ci pour faire assassiner son mari.
Sylla vit en songe une Parque qui l’appelait. Aussitôt éveillé, il fit son testament; le lendemain, il fut emporté par un violent accès de fièvre.
La femme de César, Calpurnia, rêva qu’on égorgeait son mari; elle le supplia vainement de ne point sortir, mais, sur les plaisanteries de Brutus, qui lui fit sentir combien il était ridicule de régler sa conduite d’après les songes d’une femme, il se décida à se rendre au sénat, où il fut poignardé. Telle est la légende.
Citons maintenant des songes et des événements plus modernes :
La mère de Bertrand Duguesclin rêva, peu de jours après son mariage, qu’elle avait à la main un écrin dans lequel elle voyait son portrait et celui de son mari.
Sur le couvercle de cet écrin était un caillou brut, le dessous de la boite était orné de trois diamants et de trois perles.
Son rêve se poursuivant, elle se vit commandant à un lapidaire d’arracher cette pierre brute, en quoi celui-ci répondait en s’y refusant et en lui conseillant de nettoyer elle-mème cette pierre, supérieure en valeur à tous les diamants du monde; ce qu’elle fit avec un entier succès.
Peu de temps après, elle raconta ce songe à une religieuse, qui l’interpréta ainsi :
"L’écrin contenant votre portrait et celui de votre mari représente votre maison et vos enfants.
La pierre brute devenant le plus précieux des diamants, c’est votre fils aîné.
Les trois diamants sont vos trois autres fils, et les trois perles vos trois filles."
La mère de Duguesclin eut en effet quatre fils et trois filles.
On assure que Henri III avait été prévenu à l’avance, par un songe, des calamités et des crimes qui devaient signaler son règne. En effet, il avait rêvé que la ménagerie d’animaux féroces, lions, ours, etc..., qu’il entretenait à grands frais au château de Madrid, au bois de Boulogne, avait brisé ses cages, et que les fauves échappés avaient voulu le dévorer. Il les fit tous tuer, et les remplaça par ces petits chiens, de Lyon, qui devinrent aussi à la mode que les boucles d’oreille pour les hommes et le jeu de bilboquet; ce qui n’empêcha pas le règne de ce prince dépravé d’être semé de calamités, et, quelque peu honteux.
Mademoiselle de Fontanges s’en alla un jour trouver un père franciscain et lui raconta le rêve étrange qu’elle avait fait. Elle s’était vue cheminant dans une plaine aride et sablonneuse, lorsque soudain une montagne haute et escarpée dresse devant elle ses roches abruptes et presque impraticables. Néanmoins la visionnaire la gravit résolument. Arrivée au point culminant, elle se voit, ainsi que la montagne, enveloppée d’une atmosphère lumineuse, qui tout à coup est envahie par un nuage épais et d’une odeur nauséabonde et asphyxiante. C’est sous cette impression que mademoiselle de Fontanges s'était éveillée. Le franciscain expliqua ainsi qu’il suit ce songe allégorique.
"Cette montagne est la cour : Vous y arriverez, et vous y occuperez avec éclat une place importante, mais cet éclat sera de peu de durée; vous abandonnerez les voies de Dieu et vous tomberez dans d’affreuses misères."
Si mademoiselle de Fontanges avait ajouté foi à la vérité de cette interprétation, son rêve aurait pu lui servir d’avertissement et la mettre en garde contre les séductions de la cour.
Rétif de La Bretonne, dans la Vie de M. Nicolas, cite un exemple frappant d’un avis salutaire donné par un songe à un homme qui sut en profiter : Un écrivain composait un ouvrage contre le gouvernement; il avançait sa besogne avec une grande anxiété; l’ouvrage touchait à sa fin, lorsqu’une nuit, celle où il venait de le terminer, il rêva dans son premier somme que d’Hénery, l’exempt de police, entrait dans sa chambre à une heure après minuit, et lui ordonnait, de la part du roi de le suivre chez le lieutenant général de police. Le rêveur, effrayé, suait à grosses gouttes. Il s’éveilla en sursaut, et n’était pas bien sur que ce fut un rêve. Il était si épouvanté, quoiqu'il ne crût pas aux songes, qu’il se leva, fit un feu et brûla son manuscrit tout entier; il eut même la précaution de disperser les cendres, pour qu’on ne vit pas qu’il avait brûlé du papier. Il fit plus, il écrivit une page où il louait la police, Sartines et d’Hénery. Le lendemain, il passa la journée à se repentir de ce qu’il avait fait, et se coucha fort tranquille. A minuit et demi, on frappe à sa porte, on l’éveille. Il se lève, ouvre; c’était d’Hénery qui, au lieu de lui dire de le suivre, se met à tout visiter. L’auteur, sûr de son fait, répond avec assurance. D’Hénery lui montre un morceau de brouillon qu’il avait laissé tomber de sa poche, au coin de la rue Richelieu, en sortant du café à l’angle de la rue Saint-Honore, le jour qui avait précédé son rêve. Ce morceau contenait une liste d’abus, sans réflexions, mais c’était ceux de la police...
- Oui, dit l'auteur, ce papier est de mon écriture; je l’ai cherché pour faire ce que vous voyez ici, c’est une réponse à ces prétendus abus.
Et il montra la page écrite la veille. D’Hénery, tout rusé qu'il était, fut fort étonné. Cependant il conduisit son homme chez le lieutenant général de police. On produisit les deux papiers. L’auteur reçut des compliments du renard et du furet; on l’engagea à faire quelque bon ouvrage en faveur de la police, en lui promettant une pension sur le Mercure de France. L’auteur le fit, donna le manuscrit à M. de Sartines, et reçut une pension au lieu de Bicêtre. Cet auteur était Brissot de Warville. Nous laissons au fécond et ingénieux Rétif l’entière responsabilité de cette anecdote, en tout cas très piquante, et du style un peu négligé dans lequel elle est contée.
Empruntons encore au même auteur deux anecdotes qui se rapportent à notre sujet. Madame de Cauchan, écrit-il, dans sa 169° des Nuits de Paris, madame de Cauchan, veuve de messire Armand de Walk, comte de Dampierre, domiciliée à Chalons-sur-Marne, rêva, le 12 février 1772, qu’elle mourrait le 17 du même mois. Elle avait alors 65 ans, et n’avait d’autre incommodité que la pesanteur de son âge. Cette dame avait souvent rêvé, toujours constaté ses songes, et remarqué qu’ils se réalisaient; elle fut donc singulièrement frappée de celui-ci, et toute sa maison en prit l’alarme. Notre comtesse chercha, mais en vain, un abri contre la mort prochaine dont elle était menacée dans la grande expérience du docteur Aubert; elle expira le 17 février, le jour même marqué par son rêve.
Le mème Rétif de La Bretonne raconte encore que lui-même rêva, dans la nuit du 6 au 7 mars 1773, qu’il voyait son père expirant au milieu d’une famille éplorée. Le lendemain soir, un de ses frères venait lui confirmer la terrible coïncidence de l'événement avec sa vision. Un autre de ses frères, éloigné de trois lieues du lieu où résidait son père, fut saisi à son réveil, le 7 mars au matin, d’un frisson violent et d’un tremblement de tous ses membres qui le forcèrent à s’arracher du lit, en s’écriant involontairement "Hélas, mon père est mort !"
On n’en finirait pas si l’on voulait reproduire les milliers de récits relatifs tant à la réalisation qu’a l'interprétation des songes dont fourmillent les mémoires des personnages célèbres et les recueils d’anecdotes.
En ce qui concerne l’interprétation, nous ne voulons pas entreprendre ici un cours d’oneiromancie, qui sera mieux placé dans un volume spécial. Nous nous bornerons donc à citer quelques-unes des principales significations attribuées, par les écrivains les plus compétents sur la matière, aux êtres et aux objets vus en songe.
Mais il est inutile de nous étendre sur ce sujet, et nous ne saurions mieux faire que de renvoyer ceux de nos lecteurs qui voudraient être plus complètement édifiés sur la clef des songes, au Grand Interprète des songes, par le dernier descendant de Cagliostro.
Tiré de 'L'art de tirer les cartes' par Antonio Magus, 1875.