Est-ce que nous allons remonter au comte de Saint-Germain et à ce grand faiseur de miracles qui se nommait Cagliostro ? Ce ne serait pas très flatteur pour une époque qui se dit celle de la science et qui se targue de n'accepter que ce qu’elle peut contrôler avec des moyens rigoureux.
Or, voici qu’une tendance se manifeste vers les choses du merveilleux, à ce point qu’on raconte en ce moment une histoire vraiment extraordinaire, qui semble renouvelée, ainsi qu’on l'a dit avec raison, de la fameuse aventure de Marie-Antoinette, regardant sa propre mort dans l’eau de la carafe que lui présente Joseph Balsamo.
L’affaire ne revêt pas des formes aussi tragiques. Elle offre même, comme on le verra plus loin, un caractère assez gai. Mais cela ne l'empêche pas d’appartenir au domaine de la magie, à moins qu’elle ne relève beaucoup plus simplement, ce qui est bien possible, de celui de l’hallucination. On ne saurait la placer ailleurs.
Du reste, le lecteur va pouvoir en juger.
On connaît ces petites boules de cristal montées sur un léger socle, qui paraissent les plus inoffensives petites boules qui soient au monde. Eh ! bien, s’il faut en croire un médecin, M. Edmond Waller, elles ont au contraire énormément de malice et peuvent nous révéler des choses curieuses, et quelquefois très désagréables pour des tiers.
Ainsi qu’il le rapporte dans les Annales des sciences psychiques, le docteur Waller s’est enfermé seul, pendant trois semaines, dans une complète obscurité et à raison de quarante-cinq minutes par séance, en tête-à-tête avec une des petites boules en question. Et, pendant ces trois semaines, le patient expérimentateur n’a rien vu.
Il était, un peu découragé, et je conviens qu’on le serait à moins, quand, certaine nuit, il eut l’idée de recommencer. A peine avait-il pris place devant, la boule de cristal qu’il y vit apparaître une dame qu’il connaissait - et de qui le mari était absent - en compagnie d’un monsieur semblant fort bien avec elle.
Le lendemain, M. Waller récidiva. Il revit la dame, mais elle était alors en cabinet particulier, avec un second monsieur. Stupeur du docteur, qui n’osait en croire ses yeux. Or, peu après, l’époux revint, découvrit les frasques de sa femme, et il s’ensuivit un tapage qui vint prouver à l’expérimentateur que la boule de cristal avait été véridique.
Pour le moment, les choses en sont là. D’autres personnes ont voulu essayer, et rien ne s’est fait voir. C’est sans doute parce qu'il leur manque le degré d’entraînement du docteur Waller, et si elles persistent, le succès répondra probablement à leurs efforts, surtout si, comme c’est mon sentiment, on se trouve en présence d’un phénomène d’hallucination, ou plutôt d’un fait de l’espèce de ceux se rapportant aux tables tournantes.
Il est possible qu’on finisse, à force de le vouloir, par apercevoir de vagues images dans une boule en cristal. Ce sont les images que nous y plaçons sans nous en douter. Ce que nous prenons pour un tableau étranger se présentant à nous, n’est et ne peut être que la « projection » des figures créées à notre insu par notre cerveau.
Mais, dira-t-on, M. Waller ne pouvait pas imaginer les scènes auxquelles était mêlée la dame dont il est question. Ceci est donc vraiment merveilleux. En apparence, oui, mais nullement en réalité. Sans même s’en rendre compte, car des riens, des signes à peu près inappréciables, le docteur a pu « pressentir » la légèreté de la femme mariée qu'il connaissait et la conviction de sa mauvaise conduite s’est sans doute formée à son insu dans ce qu'on pourrait nommer l’arrière-atelier du cerveau.
Dès lors, enfermé au milieu de l'obscurité, il a cru voir et a « vu » les scènes qui se jouaient en lui-même. C’est une sorte d’hallucination. D'ailleurs placez vous en milieu absolument noir, fixez un point déterminé, et vous ne tarderez pas à remarquer des lueurs fugitives passant devant vos yeux. Or, ces lueurs n’existent pas, elles ne peuvent pas exister, et, néanmoins, vous les voyez.
Les phénomènes des tables tournantes, dont se moquent les esprits superficiels, que les gens sérieux contestent et que les âmes simples attribuent à des êtres immatériels, procèdent de causes identiques.
Ils sont d’ordre matériel et intellectuel. Lorsque des personnes loyales, incapables de se duper les unes les autres, veulent faire « marcher » une table, cette table marche réellement. Il n’y a dans ces mouvement aucune origine surnaturelle. La vérité, c’est que nous dégageons des forces encore indéterminées, qui agissent sur le meuble et le font remuer.
Mais ces mêmes personnes honorables, me direz-vous, font « parler » la table. Celle-ci dit des choses qu’on pense et aussi des choses auxquelles on ne pensait pas. Pour les premières, la transmission s’explique fort naturellement. Nous dictons la réponse instinctivement Pour les secondes, nous nous imaginons que nous ne les pensions pas, tandis qu’elles vivaient au fond de notre cervelle d’une existence obscure qu’il nous est impossible de sentir.
Je suis convaincu que la science finira par établir ces vérités. Pour ma part, peut-être vous en donnerai-je avant longtemps une preuve des plus curieuses et absolument incontestable.
Jean Delusse
La France de Bordeaux et du Sud-Ouest
29 mai 1905